Décembre, c’était chuter. Un mois de destruction. Et vu depuis juillet, c’est être revenu de loin, de très loin en soi-même. Une expérience de l’être au négatif, c’est un peu comme cela que ça fonctionnait. Même si, certains matins très bleus, le soleil déjà haut au bout du boulevard, tout cela apparaît comme vain. Même si, devant les démons qui brouillent encore le sommeil, ça n’est pas tout à fait résolu.
Lui aussi, sur la corde raide, tendue entre son présent et sa mémoire. La corde pour se pendre. Parfois, aux heures les plus inquiètes, entre trois et six heures du matin, ses yeux de fou. Des cauchemars habitaient la chambre à peine éclairée par l’unique ampoule nue au pied du lit.
Désormais, les questions sont tout entières tournées vers le futur, vers ce qu’il adviendra de ce que nous construisons jour après jour. Ce sont de belles questions, rondes et douces, de celles qui font dire avec assez de conviction « je suis en vie, j’aime, j’existe. ». Ce n’est plus ce vertige de l’appel du vide au creux des tripes. Partir n’y est pas une fuite en avant. Rester ensemble, malgré la violence des premiers mois, n’est pas nous inscrire dans un nouveau schéma morbide de compulsion de nos obsessions.
Mais ce n’est pas aimer qui sauve. Aimer est le signe que l’un et l’autre avons recommencé à vivre, à choisir de nous préserver de la part noire que nous portons. Chacun se sauve pour soi, rendant une nouvelle histoire possible avec l’autre. Réapprenant à donner, et le plus difficile, à recevoir.
Je l’ai rencontré par hasard. Et dans l’instant de la rencontre, je n’étais pas attentive à ce qui se faisait. J’avais deux ou trois amants. Ce soir-là, l’un d’eux m’accompagnait. J’étais ivre. J’ai pris son numéro de téléphone non pas pour moi, mais pour cette amie charmée par l’un de ses copains. Tout cela a commencé comme la plus banale des histoires de cul. Même si parfois, certaines histoires de cul n’ont rien de banal. Avec lui, ça ne l’était pas. Nos peaux se sont accrochées, les corps disant l’attraction avant que nous la pensions, la formulions.
Les fauves se reconnaissent entre eux.
Le plus compliqué aujourd'hui est de lui ménager de la place dans mon travail. Apprendre à lui montrer, à partager ce que je fais vraiment de ma vie. La chose la plus importante lorsqu’il ne me reste plus rien : les textes, les images. Pour moi, l’intime est là. Partager mon lit, mon quotidien, le présenter à mes amis, ça a été facile finalement. Même si cela n’était pas arrivé depuis bien longtemps.
Je sais qu’il souffre de cela, de cette part très secrète et silencieuse. Lui montre si facilement ce qu’il fait, demande mon avis, écoute mes remarques et mes conseils. Malgré cette confiance qu’il instaure, je reste en retrait. Je travaille lorsqu’il dort ou, comme depuis deux semaines, lorsqu’il n’est pas là. J’ai besoin d’un espace clos et vide. J’ai besoin de me ménager un lieu et du temps qui m’appartiennent en propre. J’ai encore besoin de me protéger.
Aussi, parfois, j’ai besoin de mentir. Non pas pour le tromper, ni même parce qu’il m’empêcherait de faire ce que je cache. C’est seulement pour moi, inexplicable mais nécessaire. Descendre le boulevard de Belleville pour aller boire une pinte avec T. alors qu’il pense que je suis encore en rendez-vous à Goncourt, c’est être libre de son imagination. Aller seule à cette fête chez M., alors qu’il croit que je passe la soirée chez un couple d’amis, c’est me ménager de l’espace de respiration.
J’ai besoin d’une distance pour la réflexion. Et que celle-ci se fasse aussi dans l’emprise qu’à sur moi l’idée que l’autre se fait de ce que je suis, de ce que je fais. De la même manière, écrire ici participe de cela, la part secrète, silencieuse, solitaire.
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