27.1.11

Je et mes autres.

il y a là quelque chose à raconter. cela pourrait s'appeler Histoire d'errance ou Comment j'ai réussi à vivre chez les autres pendant plus de deux ans.
on peut imaginer que j'aurais photographié tous les lits où j'ai dormi, tous les endroits où j'ai travaillé. le jardin à St Nicolas, la cuisine ou la baignoire à Cherbourg, la petite table en mosaïque dans le XVIIIème, le bureau à Belleville ou la chambre rouge à Caen. et autour, en texte, je tenterai de transmettre l'ambiance spécifique à chaque lieu, raconter ce qu'il m'a donné de calme ou d'agitation, d'apaisement et de stimulation.

je quittais un appartement peu cher, mais où j'avais trop de souvenirs pour continuer à y vivre. en restant à Paris, il y avait la question du loyer à payer et de cette lubie à régulièrement m'arrêter de travailler. même si, à vrai dire, même lorsque je travaille, ça ne me coûte jamais trop de temps ou d'énergie pour gagner convenablement ma vie et satisfaire aux besoins basiques et aux extras. puis, à la différence de ce que m'a imposé mon éducation, je n'ai que très peu d'intérêt pour l'argent, l'ambition, la réussite sociale. au grand désespoir de quantité de personnes qui m'entourent, tout cela me passe absolument au-dessus de la tête. je ne sais penser qu'en terme de plaisir que je prends aux choses. si j'ai une ambition, elle est là : me faire plaisir. une certaine paresse, mais pas seulement.
même, à l'inverse des dispositions communes, la possession m'angoisse, comme un enchaînement. si j'avais le permis de conduire, peut-être que finalement, comme Pierre Guyotat ou Violette Leduc, je finirais par ne plus avoir d'appartement du tout et vivre dans ma voiture, sur les routes, chez des amis. je n'ai jamais eu ce fantasme d'acheter une maison, pour à la fin de ma vie, me dire que je me serais ancrée quelque part. pour moi, ce n'est pas rassurant, il s'y attache l'idée d'avoir abdiqué.
mon nom sur la boîte aux lettres, les factures, les courriers qui arrivent à date dite, tout cela me cause toujours une tension, une sensation d'étouffement. comme si tous ces signes de la vie administrative, quand bien même dérisoires, m'oppressaient. c'est arrivé au point où aujourd'hui, je n'ai même plus un compte bancaire à mon nom, même plus de carte d'identité. je voudrais être effacée pour cette partie-là de l'existence.
mais c'est d'abord agi, presque malgré moi, par le hasard des événements. ce n'est pas le fruit d'une théorie élaborée. c'est seulement m'apercevant que peu à peu, j'effaçais mes traces, que j'ai commencé d'interroger cette chose-là, cette manière de ne pas satisfaire à ces obligations qui semblent absolument naturelles à la plupart de mes contemporains. c'est comme ça, je ne vis que dans la suspension, l'anonymat, l'indécision. ce vague, c'est comme vivre quantité de vies possibles à la fois.

bien sûr, il y a des situations où tout cela se retourne contre moi. je ne compte plus les fois où j'ai manqué de finir la nuit au poste de police parce que je n'ai pas de carte d'identité, les moments où je n'ai pas pu m'acquitter d'un paiement ou recevoir un versement parce que je n'ai pas de compte en banque. pourtant avec le temps, je me suis découvert un entêtement à continuer à vivre comme cela.
mais, il y a là dedans quelque chose qui me gène : je n'arrive pas à accepter que ma liberté soit au prix d'un certain parasitage des autres. même si un ami, quelqu'un comme un clochard céleste, m'a mille fois répété qu'il y avait de bons parasites, dont il se sent lui. je n'accepte pas cet aspect des choses.

idéalement, vivre en colocation, mais que mon nom n'apparaisse nulle part ou peut-être seulement mes initiales. ou aller d'hôtel en hôtel, payer en espèces et donner un faux nom, celui d'un personnage de roman, l'anagramme du nom d'un écrivain qui m'est cher ou un nom totalement inventé. je le faisais en déplacement pour le travail, je le fais lorsque je voyage. avec d'autres noms que le mien, que celui imposé par la famille et non, ce serait pourtant plus parlant : une généalogie littéraire, une mythologie personnelle. comme si lorsqu'on m'appelait, mon être débordait toujours du nom qu'on lui a donné.

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