31.7.10

Quitter Paris

Des kilomètres entre nous. Pour quelques mois, histoire longue distance de mécompréhension dans le doute d'un futur flottant. Etre sûr d'aimer rend sûr de rien, rejette au doute et à la peur. Nous en sommes-là.
Le projet est un peu fou, certes. Mais que serions nous, lui et moi, sans cette furie, sans cet emportement, sans les débordements ? Bien trop malheureux pour nous sentir être.

Pour me rassurer, me distraire, je regarde. Ou plutôt, mon regard se pose malgré mes intentions sur des objets désirés dans l'espace de quelques minutes de potentialité. Ce serait aussi facile que cela l'a toujours été. Les laisser venir, leur laisser la sensation qu'ils me mettent dans leur lit, alors que finalement, je ne viens qu'en absence pour me vider de moi-même dans le jeu du sexe. Un éclair blanc.
Avec lui, le corps, le désir, c'est l'évidence brutale d'une attraction inéluctable. Ça l'a été dès le début. Avec lui, dans ce désir, il n'est pas d'absence, mais une excessive présence attentive l'un à l'autre et chacun à soi.
Puis évidemment, après le sexe, avant le sexe, parler de littérature, d'art contemporain, de philosophie, de politique, de tout cela. Et, ce qui dit l'attachement : parler de soi.

Restent ancrées des images de cet hiver : une banlieue morne distribuée autour d'une avenue qui semble infinie, les nuits sans sommeil, la vodka. Son corps blanc le drap encore enroulé autour des jambes. Il tire sur une énième cigarette et l'écoulement du temps se suspend dans des instants semblant vides, mais malgré nous, qui fondent ce qui devient une histoire.
Toutes ces nuits ivres où il me dit qu'il m'aime. Et moi, prise de panique, qui liste les contacts de mon téléphone pour trouver qui pourrait bien venir me chercher à cette heure indue. J’ai si souvent tenté de le fuir. Et je m'y essaie encore. Sans succès. Depuis son départ, nous nous appelons tous les jours. Moi qui déteste le téléphone. Nous avons de ces discussions apparemment anodines et des silences qui témoignent du manque l'un de l'autre.

à Paris, nous n'habitons nulle part. Paris, plaie ouverte dans laquelle nous nous couchons. Moi, j'y suis née. Lui y passe sans vraiment s'arrêter. Paris, salle des pas perdus. Nous cherchons à nous y installer, ensemble, mais finalement, sans vraiment y croire. Moi, parce que j'y ai trop de souvenirs, lui parce qu'il y a à peine un présent. Paris, désormais les dents trop longues pour que je puisse y vivoter comme je l'ai toujours fait. Paris qui devient une abominable ville de cadres comme est devenue Londres. Il a bien fallu l'admettre, je ne peux me sentir vraiment habiter ce lieu. Et cela bien plus pour des raisons éthiques que pour des raisons financières. Même si, avec ce tout à la consommation, c'est lié.

J’ai des rêves de bombe à neutrons. Ma misanthropie augmente à chaque trajet en métro. Les terrasses des cafés ne stimulent plus que ma haine. La colère qui autrefois me portait dans mes projets, aujourd'hui, me rend à l'impuissance et à l'autodestruction.

Quitter Paris. Deux mots qui me font sourire.
Me moquant de moi, et de ces topiques bucoliques d'urbaine radicale qui voudrait un désert vert. à la fois, croyant en cette autre de moi qui vit d'un rien : d'un livre, d'une image, d'une pensée vague perdue dans la contemplation d'un paysage mouvant.

Mon imagination est déjà partie : je vois la maison, mon chat enroulé sur le plaid posé sur un autre canapé, un autre horizon par la fenêtre et l'aube rose violent. De là-bas, je connais déjà les teintes du ciel, l'odeur de fer de la terre humide et les couleurs appuyées par un soleil franc. Je connais l'hiver, la neige qui craque sous les bottes ou l'étonnante douceur d'un 30 décembre où nous décidons de déjeuner dehors. Là-bas, j'ai déjà des souvenirs.
Déjà, malgré moi.